Permettez-moi, au nom de l’Association républicaine des Anciens Combattants et Victimes de Guerre, des Combattants pour l’Amitié, la Solidarité, la Mémoire, l’Antifascisme et la Paix (ARAC), de vous apporter notre salut fraternel en ce jour souvenir du 11 novembre marqué par les nombreuses cérémonies officielles qui masquent toujours volontairement ou non la réalité, c’est-à-dire les causes et les raisons vraies de la guerre de 1418.
L’ARAC fêtera en novembre 2 017 son 100e anniversaire avec vitalité, dynamisme, car elle travaille en permanence à sa pérennité, à son avenir, à la prise de responsabilité d’animateurs et animatrices des nouvelles générations, soucieux de défendre les valeurs républicaines d’émancipation, le travail indispensable de mémoire, l’antifascisme, l’amitié et la solidarité entre les peuples, la paix …
Mais dès cette année, nous inscrivons notre participation à cette belle cérémonie devant le Monument de Gentioux dans le cadre du 100e anniversaire du roman d’Henri Barbusse « Le Feu », qui a obtenu le Prix Goncourt en 1 916…
je voudrais porter à votre connaissance quelques extraits de ce roman relatifs aux mutins de 1917, aux « fusillés pour l’exemple » qui devraient être réintégrés « pleinement » dans notre histoire collective nationale …
Lieutenant Chapelant ! Lieutenant Herduin ! Adjudant Merle ! Caporaux Lechat, Maupas, Girard, Lefoulon Dauphin ! soldats Maillet Hoff, Berçot, Turgis ! et vous tous, les 740 condamnés à mort par des tribunaux militaires et fusillés pour l’exemple, c’est en votre souvenir que nous sommes ici aujourd’hui pour réclamer justice, vous qui êtes morts « par la France ».
Nos associations sont rassemblées pour exprimer la même exigence de vérité.
Nous connaissons tous les conditions dans lesquelles se sont déroulées ces tristes et honteuses cérémonies que le général Pétain avait osé appeler, je cite : « des cérémonies expiatoires ».
Qui étaient ces officiers qui assassinèrent ces soldats dont beaucoup avaient été décorés de la croix de guerre pour leur bravoure au combat ?
Voici le colonel Didier, ivre dès midi, qui avait fait tuer tous les chiens d’un village parce qu’ils l’empêchaient de dormir …
Voici un lieutenant dont le caporal Lorin, condamné à mort mais ayant échappé à l’exécution parce que son adjudant l’a bien défendu, dit : « La section fut privilégiée car dans cette section il y avait une idole qu’il ne fallait pas toucher. Cette idole avait deux galons d’or, et pour sauver ce galonné il fut convenu entre la haute camarilla d’officiers que les caporaux en supporteraient les conséquences et seraient fusillés pour l’exemple ».Qui étaient les soldats fusillés ? Henri Barbusse en décrit un dans son livre « Le Feu » ; un des soldats qui a dû participer à la cérémonie expiatoire dit : « Mais, non, c’était pas un bandit, c’était un de ces durs cailloux comme tu en vois. Nous étions partis ensemble. C’était un bonhomme comme nous ni plus, ni moins, un peu flemme, c’est tout. Il était en première ligne dès le début, mon vieux – et j’lai jamais vu saoul, moi ».
C’étaient des paysans, des ouvriers, des artisans, des instituteurs … Dauphin, paysan fusillé pour avoir chanté dans la rue « j’ai deux grands bœufs dans mon étable » chanson paysanne considérée par le colonel comme subversive. C’est le soldat Maillet, jugé par contumace pour abandon au combat dont on retrouvera le cadavre trois jours plus tard …
Je veux citer un mémoire, certainement le premier consacré à ces terribles événements « Rien n’est plus scandaleux que le contraste entre la répression sauvage dont furent victimes les soldats, les basgradés et l’impunité dont ont bénéficié les grands chefs militaires. Lorsqu’on se prend à comparer le sort d’un Nivelle, responsable des hécatombes du 16 avril 1 917, et celui des milliers de combattants … Lorsqu’on songe que la mémoire d’innocentes victimes n’a pas été réhabilitée, on se demande si l’on ne se trouve pas ici devant la plus effroyable de toutes les horreurs de la guerre ».
Henry Andraud a rédigé ce mémoire en 1 920.
Détaillons cette effroyable horreur :
Ce fut d’abord des milliers de parodies de justice menées par des officiers qui ne craignaient pas la défaite en elle-même, mais les conséquences que la défaite pourrait avoir sur leur avancement, et en conséquence, le sacrifice des fusillés a été le garant de l’avenir de la caste galonnée. La lecture des quelques comptes rendus des condamnations que nous pouvons avoir montre à quel point la sanction était déjà établie … Un des officiers qui avait participé en personne à un jugement de cette espèce avait confié que les responsables d’une défaite n’étaient pas ceux qui étaient jugés.
Ce fut ensuite l’inhumanité des exécutions. Comme Chapelant fusillé debout, ficelé dans son brancard ; je vais citer maintenant « les Croix de Bois » de Roland Dorgelès : « L’homme s’est effondré en tas, retenu au poteau par ses poings liés. Le mouchoir, en bandeau, lui fait comme une couronne. Livide, l’aumônier dit une
prière, les yeux fermés pour ne plus voir … il s’était jeté par terre pour mourir moins vite et on l’a trainé au poteau par les bras, inerte, hurlant. Son sanglot déchirait ce silence d’épouvante et les soldats tremblants n’avaient plus qu’une idée : Oh vite ! vite ! Que ça finisse. Qu’on tire, qu’on ne l’entende plus ! « Le craquement tragique d’une salve. Un autre coup de feu, tout seul, le coup de grâce. C’était fini …
« Il a fallu défiler devant son cadavre ; la musique jouait « Mourir pour la Patrie » et les compagnies déboîtaient l’une après l’autre, le pas mou. Berthier serrait les dents pour qu’on ne voit pas sa mâchoire trembler … En passant devant le poteau, on détournait la tête. Nous n’osions pas même nous regarder l’un l’autre, blafards, les yeux cernés comme si nous venions de faire un mauvais coup. » fin de citation.
Ce fut aussi la honte des familles. Il faut se rappeler à ce sujet que c’était d’ailleurs une des réflexions des soldats pour « marcher au combat » : ne pas passer pour des traîtres ou des lâches pour ne pas être la honte de la famille. Les dernières lettres des condamnés attestent que ce souci était de première importance avec l’affirmation que, bien que condamnés, ils n’étaient pas coupables de lâcheté. Les autorités aussi bien militaires que civiles firent la preuve d’une immense injustice. Ce fut sans doute, là la plus horrible conséquence des « cérémonies expiatoires ».
En terminant, il faut rappeler la responsabilité et la veulerie qui étaient celles du gouvernement civil dès 1 914, celle de son ministre de la guerre, donnant blanc-seing aux généraux pour mater les mutins, les traîtres et les lâches. Le premier responsable de cette honteuse hécatombe et de ces homicides est un gouvernement civil.
Aussi, nous sommes en droit de penser que le courage d’un gouvernement d’aujourd’hui devrait compenser la lâcheté du gouvernement d’alors, que la réhabilitation collective des fusillés pour l’exemple devrait être enfin déclarée solennellement. A cette heure, ce n’est toujours pas le cas. Nous continuerons de le revendiquer, nous n’abandonnons pas : Cent ans, cela suffit !!!
Nous voulons une reconnaissance collective en même temps que nominale pour qu’enfin :
Lieutenant Chapelant ! Lieutenant Harduin ! Adjudant Merle ! Caporaux Lechat, Maupas, Girard, Lefoulon Dauphin, soldats Maillet, Marcel, Hoff, Berçot, Turgis et vous tous, les 740 condamnés à mort par des tribunaux militaires et « fusillés pour l’exemple » vous redeveniez officiellement ce que vous étiez : des « soldats morts pour la France » ! …
L’ARAC appuie et aidera à la popularisation de l’Appel à la République des descendants de Fusillés, lancé par la Libre Pensée pour que justice soit rendue aux 639 victimes des pelotons d’exécutions. Elle appuie la bataille engagée par la Libre Pensée pour construire un monument en hommage aux fusillés … Je vous remercie de votre attention.
11 novembre 2 016 ;
JP Combe, délégué national de l’ARAC au rassemblement de Gentioux