Citoyennes, citoyens, amis, camarades,
Demain, à quelques kilomètres de la Courtine, face à l’orphelin de Gentioux, des citoyennes et citoyens viendront dire leur hostilité à la guerre, aux guerres passées et en cours.
Dans le mot d’ordre porté par la Libre pensée, mot d’ordre repris dans le silence de l’oubli il y a 30 ans, mot de d’ordre de réhabilitation collective des Fusillés pour l’exemple, dans ce mot d’ordre c’est le sort de tous les soldats, ces paysans et ouvriers, qui y est concentré. Ces hommes mis en rang, caporalisés, et qui comme ces moujiks se retrouvent à des milliers de kilomètres de chez eux, de leur terre, de leurs proches. Ces soldats russes échangés contre des fusils, troquer pour perdre leur humanité dans la boue, le sang et la folie de l’offensive Nivelle.
Cette plaque posée par le travail opiniâtre de la Libre Pensée de la Creuse, de son président Régis Parayre, a reçu le soutien, l’appui, l’approbation pleine et entière de la Fédération nationale de la Libre Pensée. Comme nous l’écrivions aux fédérations avant l’inauguration : ” C’est une victoire immense d’avoir obtenu un monument en l’honneur des mutins de la Courtine. Nos camarades l’ont fait au compte de la Libre Pensée nationale, de la Libre Pensée internationale, des combattants contre toutes les boucheries militaristes, du mouvement ouvrier international.”
La Libre Pensée agit depuis des décennies pour la réhabilitation des « fusillés pour l’exemple » du massacre mondial de 1914-1918.
Le 30 juillet 1914, le révolutionnaire Marcel Martinet écrivait :
Fondeur du Creusot, devant toi,
Il y a un fondeur d’Essen,
Tue-le.
Mineur de Saxe, devant toi
Il y a un mineur de Lens,
Tue-le.
Docker du Havre, devant toi
Il y a un docker de Brême,
Tue et tue, tue-le, tuez-vous,
Travaille, travailleur.
L’internationalisme libre-penseur combat toutes les boucheries.
La Libre Pensée combat le militarisme.
A La Courtine, s’est créé le seul « soviet » du territoire de la République française. Ses partisans ont été exterminés au canon.
André Lorulot saluait Le Soviet dans une brochure de 1919. Le soviet, les soviets, sont le patrimoine commun du mouvement ouvrier et de toutes ses composantes, de la Libre Pensée. Les libres penseurs de 2012 iront saluer les révoltés de 1917 de la Courtine et leur soviet.
Ce furent les mêmes mots qui entamèrent le discours du président de la Fédération nationale de la Libre Pensée, Marc Blondel, ici même dans ce cimetière de la Courtine, il disait :
« Aujourd’hui, 15 septembre 2012, pratiquement à la veille du centenaire de la Première Guerre mondiale, nous allons ensemble et publiquement procéder à la rédaction d’une page d’histoire. Je veux, avant d’aborder une brève narration des événements, remercier et féliciter la Fédération départementale de la Libre Pensée qui, avec obstination, s’est battue pour qu’il en soit ainsi. Ce combat, pacifiste par excellence, s’inscrit dans la recherche de la vérité chère aux libres penseurs.
Il ne s’agit pas d’interpréter les choses, cela reste au choix de chacun d’entre nous, mais de faire connaître les événements dans leur brutalité afin de construire et de participer au comportement d’hommes et de femmes libres pour que ces choses ne se renouvellent plus.
La recherche et l’analyse historiques nous permettent de constater comment des atrocités, voire la barbarie, peuvent être rapidement oubliées par la population et surtout comment des historiens, influencés par les politiciens, peuvent créer des légendes quasi héroïques. L’histoire regorge d’exemples qui enrichissent ainsi une épopée lyrique bien utile pour conditionner l’opinion publique. Mais il ne peut y avoir persistance de l’oubli, même collectif : on ne peut pas éternellement effacer les faits. »
Oui, mes camarades, on ne peut pas éternellement effacer les faits. Et la page d’histoire a été écrite ici le 15 septembre 2012, sous l’impulsion de la Fédération nationale de la Libre Pensée, sous celle de Régis Parayre, président de la fédération de la Libre Pensée de la Creuse.
Citoyennes, citoyens, camarades,
Shakespeare a écrit : « Le temps ressemble à un hôte du grand monde, qui serre froidement la main à l’ami qui s’en va et qui, les bras étendus, embrasse le nouveau venu ».
A l’aube de 2017, comment ne pas comparer le périple de ces soldats russes à celui de milliers de jeunes aujourd’hui qui n’ont d’autres choix de prendre les armes pour des industriels, pour les « intérêts supérieurs des marchés financiers » ?
Il s’agit toujours de la jeunesse que l’on fauche, une jeunesse dont le temps ne prend pas le temps de serrer la main, une jeunesse dont l’ami et l’amitié ne deviennent pas une réalité, une jeunesse les bras étendus parce que la mort leurs a serré froidement la main. Une jeunesse que l’on anéantie pour les intérêts tactiques de généraux assassins.
Et pourtant à cette jeunesse de 2017, à nos enfants, nous disons, il y a eu ici autrefois des jeunes russes qui devinrent amis, camarades, en qui l’Humanité s’exprimait comme une fraternité traversant les frontières. Des jeunes souffrant dans les tranchées, relevant leurs frères blessés, entendant la Révolution qui avance à des milliers de kilomètres comme la voix de l’espoir, de la libération des chaînes de l’exploitation, le souffle de l’émancipation de l’homme par l’homme. Des jeunes qui répondirent à cet appel, seule porte de sortie de la logique meurtrière où le régime tsariste les avait enchaînés.
Ces paysans et ouvriers méprisés par le Tsar, Nicolas II furent échangés contre des armes, poursuivre le bain de sang par les armes et des hommes.
Le 14 décembre 1915, Doumer eut une entrevue avec le général Alexeieff, chef d’état-major russe. Ce dernier « défavorable à l’idée d’envoyer des expéditions partielles à l’étranger, avait été mal impressionné à l’idée d’échanger des êtres vivants contre un matériel sans âme ». Le Journal La Croix du 19 mai 1933 rapporte : « Mais, au point de vue matériel et financier, la Russie se trouvait dans une telle dépendance vis-à-vis de la France, qu’il fallait tout de même compter avec les pertes de la France en hommes et se garder de troubler les bonnes relations existant avec les alliés. Le général Alexeieff reconnut, toutefois, qu’on pouvait tenter l’envoi en France de deux régiments d’infanterie avec deux bataillons de réserve. » Et ils le mirent à exécution.
Ces hommes qui avaient soulevé l’enthousiasme des Parisiens le 14 juillet 1916 au défilé, qui furent de l’offensive Nivelle en avril 1917, rampant dans la boue, la fange et la mort n’en furent pas moins méprisés, vilipendés quand ils demandèrent à rentrer au pays parce que, là-bas, la Révolution avait commencé.
Ils disaient : « Depuis notre arrivée en France, nous, soldats russes, avons été considérés non comme des hommes, mais comme des objets utiles et n’ayant pour seule valeur que notre capacité au combat… Nous prions, nous exigeons, nous insistons pour que l’on nous renvoie en Russie, annoncent-ils dans une pétition. Envoyez-nous là d’où̀ nous avons été chassés par la volonté de Nicolas le sanglant. Là-bas, en Russie, nous serons du côté de la liberté, du côté du peuple laborieux et orphelin. Nous avons décidé de ne pas aller à l’exercice ici en France. Que l’on nomme cette résolution « illégale», « criminelle»…: nous n’avons pas d’autre moyen de nous faire entendre ».
Envoyés au camp militaire de la Courtine, loin du front, très loin du front pour que le spectre de la Révolution n’hante pas les tranchées, la France. A la Courtine, alors qu’ils sont présentés sont les fauteurs de trouble, le front arrière que l’on craint, les alliés objectifs des ennemis allemands, ces soldats russes ces «rebelles» s’y constituent en soviet, fraternisent avec la population locale et participent aux travaux des champs, les Français étant au front. Même là, ils sont de trop.
La revue Ogoniok d’avril 1973 rapporte le témoignage du maréchal Malinovsky venu en France pour participer à une conférence internationale.
S’il est Maréchal dans les années 1960, il faisait partie de ce corps expéditionnaire russe, venu en France en 1917, il explique :
« Oui, c’est bien cette même route que nous avons prise pour monter au front, à bord de camions français. Et c’était en 1917, et c’était même très exactement au printemps. Que pouvions-nous alors y comprendre, nous autres simples soldats – pourquoi nous étions ici et quel sort nous était préparé ? Mais à tout ça, on ne voulait pas y penser- le soleil brillait, nous étions très bien équipés, rassasiés, on nous accueillait partout avec des applaudissements, on nous lançait des fleurs, de belles jeunes filles nous souriaient. La parade d’un seul de nos bataillons sur les Champs Elysées avait été triomphale, les journaux nous présentaient comme les sauveurs de la France, venus chez elle pour la secourir. La compréhension de la nature politique réelle de tout cela, de ce qui se passait et de cette tragédie qui nous attendait, se fit plus tard, quand il parvint à notre conscience de soldat que cette guerre n’était ni la nôtre, ni celle des travailleurs et paysans français comme allemands, et qu’il nous fallait au plus vite retourner chez nous pour combattre nos propres grands propriétaires terriens et nos propres capitalistes. Mais, bien sûr, chez messieurs les officiers, la compréhension des choses était tout autre. Voilà allaient les choses jusqu’au massacre au camp de La Courtine…
La Courtine, La Courtine… Oui, ce fut une véritable tragédie. Les soldats mutinés du Corps expéditionnaire russe ont exigé le retour immédiat au pays, chez Lénine, et les officiers ont hurlé : ” Silence ! Sur ordre du Gouvernement provisoire de la Russie, vous devez combattre jusqu’à la victoire finale, là où on vous envoie. Et on vous envoie d’ici à Salonique, sur le front macédonien”.
À cette époque, l’état-major général du gouvernement Kerensky avait déjà transmis un télégramme chiffré : “les éléments mutinés doivent être passés par les armes !”
Dans le livre de l’ex-général d’infanterie Youri Danilov, “Les détachements russes sur les fronts français et macédoniens – 1916-1918“, il est écrit :
« Et la bataille éclata… La bataille de Russes contre des Russes sur la terre de France. J’ai devant moi le rapport laconique du général Combi, commandant la 12ème Région militaire de Limoges, où se trouvait le camp de La Courtine, à l’état-major général :
” – 16 septembre 1917 à 10h00 : quatre salves d’artilleries tirées sur les émeutiers.
– 16 septembre : chez les Russes, il y a quelque 20 blessés. L’ordre de faire feu a été renouvelé à 14h00. Les tirs d’artillerie reprendront jusqu’à la nuit tombée.
– 17 septembre : nuit très active. Tirs de mitrailleuse de l’armée loyale. On annonce un nombre important de blessés.
– 19 septembre : les émeutiers sont cernés…”
L’artillerie française, bombardent le camp, ce qui constitue un véritable assassinat collectif : plus de 100 morts, beaucoup de blessés.
Camarades, je vous le demande le sort des soldats russes est-il éloigné de celui des fusillés pour l’exemple, ne s’agit-il pas de faire avancer la troupe sous la menace constante de la mort ? L’attitude de ses soldats est-elle éloigné de celle de ses soldats qui à travers les âges, l’histoire, l’espace et les armées refusent le combat la barbarie et la mort ?
Nous le disons, nous sommes fiers comme Libre Pensée à avoir été à l’initiative de cette plaque en l’honneur de ses soldats russes. Nous sommes au confluent de la Révolution d’Octobre, du combat contre la guerre, des riches traditions sociales du plateau de Millevaches et de l’activité organisée des fédérations limousines de la Libre Pensée ; c’est aussi dédié, non sans émotion, à nos camarades disparus : René Debord, Pierre Forestier, et Jean-Louis Crouzevialle, qui furent parmi les premiers à se rassembler devant le monument de Gentioux, distant de 30 km, pour que «Maudite soit la Guerre !».
Ce souffle puissant de la révolution que ni en 1917, ni en 2017, les tenants du capitalisme mondial ne peuvent arrêter car quand le peuple écrit son histoire, il balaye les exploiteurs, les nantis, les parasites qui voudraient la vivre à sa place. 1917 sonne comme un avertissement, avec tous les moyens de la répression tsariste, la révolution russe balaya un régime centenaire. 2017 qui s’ouvre sur une restriction inédite des libertés en France, où le fichage devient la loi, où la répression contre la liberté syndicale devient une habitude, 2017 ne peut se faire sans la conscience des masses, sans les lois de l’Histoire.
Comment ne pas finir comme le fit le camarade Marc Blondel, il y a 4 ans de cela : « Alors, Mesdames et Messieurs, citoyens, citoyennes, monte en moi le 5ème couplet, interdit lui aussi, de l’Internationale :
« Les rois nous saoulaient de fumée,
Paix entre nous, guerre aux tyrans,
Appliquons la guerre aux armées,
Crosse en l’air et rompons les rangs.
S’ils s’obstinent ces cannibales
A faire de nous des héros,
Ils sauront bientôt que nos balles
Sont pour nos propres généraux ».
Maudite soit la Guerre, vive le Soviet de la Courtine !