Amis, Citoyens, Compagnons, Camarades,
Je vous apporte ici le salut fraternel de la Fédération nationale de la Libre Pensée et de la Fédération nationale laïque des monuments pacifistes.
Ce rassemblement pacifiste fait partie d’une longue liste de rassemblements internationalistes et d’initiatives contre la guerre, qui se déroulent autour du 11 novembre. La Libre Pensée entend à ces occasions condamner encore et toujours les guerres passées, présentes et à venir.
La Fédération nationale de la Libre Pensée se réclame depuis toujours de l’antimilitarisme internationaliste et pacifiste. Elle condamne toutes les guerres impérialistes et les « opérations extérieures » qui ne sont que relents de conquêtes colonialistes. Selon l’expression de Paul Valéry : « Les guerres sont faites par des gens qui ne se connaissent pas au profit de gens qui se connaissent très bien, mais qui refusent de s’entretuer ».
Le Congrès national de la Libre Pensée, réuni à Bourg-lès–Valence du 23 au 26 août 2016, a condamné les bombardements et les destructions menés partout dans le monde. La guerre est sur tous les continents et massacre des centaines de milliers d’hommes, de femmes, d’enfants et de vieillards. De plus, « Le déplacement forcé atteint un niveau sans précédent. 65,3 millions de personnes étaient déracinées à la fin de 2015 » selon le rapport annuel du Haut-Commissariat aux Réfugiés de l’ONU (20 juin 2016). La guerre est une barbarie.
La Libre Pensée rappelle son engagement de toujours contre le militarisme et réaffirme le principe fondamental du droit des peuples à disposer d‘eux-mêmes et non du droit des puissants à disposer des peuples. Elle dénonce le droit d’ingérence qui n’est que le maintien de l’oppression coloniale. Le Congrès de la Libre Pensée exige l’arrêt des interventions militaires extérieures dans tous les pays.
La Libre Pensée exprime sa totale empathie avec les migrants qui veulent fuir la barbarie et la mort. Elle en appelle à la solidarité internationale pour leur apporter aide et secours et pour faire respecter leur désir d’installation dans le pays de leur choix.
Amis, Citoyens, Compagnons, Camarades,
Nous sommes à la mi-temps du centenaire de la Première Guerre mondiale et il faut dire les choses. C’est cette guerre qui a inventé les réfugiés et le nettoyage ethnique. Il y eut durant cette guerre 7,7 millions de personnes qui furent déplacées de force dans toute l’Europe.
Le premier conflit mondial, c’est, en quelques chiffres, l’horreur absolue : 75 millions de personnes sous l’uniforme, 10 millions de morts, 21 million de blessés, 8 millions de prisonniers. En Angleterre et en Italie, un homme sur deux en âge de servir a été mobilisé. En France, en Allemagne, en Autriche-Hongrie ils ont été 4 sur 5 à être sous l’uniforme.
Comme l’écrivait Ernest Jünger : « Cette guerre n’est pas l’aboutissement de la violence, elle en est le prélude. » Durant ces 5 années de guerre, il y eut en moyenne 900 soldats morts par jour en France, 1 300 en Allemagne, 1 450 en Russie. Il y eut aussi 660 000 civils morts par la faim et les maladies en Allemagne, 400 000 en Autriche-Hongrie, 550 000 en Italie, 600 000 en France, 600 000 aussi au Royaume-Uni, 450 000 en Turquie. La saignée fut telle que dans l’agriculture française, il manquait, en 1921, 1,5 millions de personnes par rapport à 1914 où 44% de la main d ‘œuvre était agricole. Sur les 563 000 Assyro-chaldéens avant la guerre dans l’Empire Ottoman, 250 000 furent massacrés ou tués au combat. Sur les deux million d’Arméniens, un million fut tué. En Serbie, 16% de la population a disparu à la fin de la guerre.
Tout et tous poussaient à la guerre. Ainsi Alan John Percival Taylor, l’un des plus grands historiens anglais du 20e siècle, décrivait les choses comme suit « Dans presque tous les pays européens, les forces poussant à la guerre étaient plus importantes que jamais – de vieux généraux stupides qui n’avaient jamais vu le moindre combat, des diplomates pédants qui s’étaient entendu dire par une personne ou une autre qu’ils étaient les garants de l’honneur national, des écrivaillons essayant de gagner quelques sous en rédigeant un article chauvin. »
Ils ne furent que quelques poignées à refuser la boucherie, avec le grand Jaurès qui déclarait dans son discours de Vaise du 25 juillet 1914 : « Quoi qu’il en soit, citoyens, et je dis ces choses avec une sorte de désespoir, il n’y a plus, au moment où nous sommes menacés de meurtre et de sauvagerie, qu’une chance pour le maintien de la paix et le salut de la civilisation, c’est que le prolétariat rassemble toutes ses forces qui compte un grand nombre de frères, Français, Anglais, Allemands, Italiens, Russes, et que nous demandions à ces milliers d’hommes de s’unir pour que le battement unanime de leurs cœurs écarte l’horrible cauchemar. » Et dans ce « prélude à la barbarie », Jean Jaurès en paiera de sa vie, assassiné pour l’exemple parce qu’il fallait mettre les peuples au pas.
On sait que les dirigeants des partis socialistes passèrent outre à la voix des militants qui s’opposaient à la guerre ; la plupart des partis socialistes des grandes puissances impliquées dans la guerre votèrent les crédits de guerre via leur fractions parlementaires respectives ; ainsi interdirent-ils de facto à la classe ouvrière des pays concernés la possibilité de s’opposer – par son déploiement dans la lutte de classes ( pouvant aller jusqu’à la grève générale) – au massacre annoncé, et rendu désormais possible par leur trahison de « chefs » socialistes.
Ce fut le début des trahisons toujours répétées, hier comme aujourd’hui. Il n’y a décidément jamais rien de nouveau sous le soleil. Comme le relèvent nos amis du Mouvement de la Paix, les généraux ont obtenu du pouvoir politique actuel que le budget des armées passe de 31,6 milliards aujourd’hui à 41 milliards d’euros en 2020 et qu’à la demande de l’OTAN, le budget de la dissuasion nucléaire double aussi, passant à 6 milliards à l’horizon 2030.
Amis, Citoyens, Compagnons, Camarades,
L’action ininterrompue et unitaire de la Libre Pensée pour la réhabilitation collective des Fusillés pour l’exemple est la marque d’une volonté de dire Non à la Guerre et de promouvoir le droit de dire Non à l’oppression et aux massacres de la barbarie militariste. Nous œuvrons ensemble avec nos camarades de l’ARAC, de l’Union pacifiste, du Mouvement de la Paix, de nombreuses sections de la Ligue des Droits de l’Homme et des syndicats CGT et CGT-Force Ouvrière pour obtenir que Justice et Honneur soient rendus aux 639 Fusillés pour l’exemple.
Cette revendication s’appuie sur la liberté humaine et contre l’oppression qui faisait dire à Emmanuel Kant, il y a bien longtemps : « Mais j’entends présentement crier de tous côtés : Ne raisonnez pas ! L’officier dit : Ne raisonnez pas, exécuter ! , le financier dit : Ne raisonnez pas, payez, le prêtre dit : Ne raisonnez pas, croyez ! »
Carl von Clausewitz, celui qu’on présente comme le théoricien de la guerre, a bien expliqué que l’armée n’est que l’instrument de l’administration de l’Etat autorisé à user de violence. Dès lors, toute contestation émanant de l’armée revient à une contestation de l’Etat lui-même. Et il explique que c’est pour cela qu’une mutinerie n’est pas l’équivalent d’une grève. Obéir ! Obéir à l’Etat !
Voilà pourquoi le gouvernement, tous les gouvernements ont refusé la réhabilitation collective des 639 Fusillés pour l’exemple. Il fallait obéir. Et les 639 soldats ont voulu ne pas mourir pour des ordres imbéciles et meurtriers ; alors ils doivent, hier comme aujourd’hui, être punis. Hier, en les fusillant, aujourd’hui, en refusant de leur rendre leur honneur. Et c’est pour cela aussi que le Secrétaire d’Etat aux Anciens Combattants et aux ordres a voulu faire interdire la Chanson de Craonne au cours de la cérémonie au cimetière de Fricourt. Honte à lui, honte à ses commanditaires ! C’est pour cela que nous, ici, aujourd’hui, nous chanterons la Chanson de Craonne, personne ne nous dictera ce que nous devons faire et ne pas faire.
Ce combat pour la réhabilitation collective des 639 Fusillés pour l’exemple est aussi le moyen pour la Libre Pensée de rétablir les faits et de faire connaître la véritable histoire de cette guerre impérialiste et assassine. On voudrait nous faire croire, à l’instar du très clérical Antoine Prost que les millions de soldats sont partis la fleur au fusil et le bonheur aux lèvres. On comprend pourquoi il est un adversaire acharné de la réhabilitation collective de ceux qui, Français, sont tombés sous des balles françaises.
Pendant toute la guerre, des soldats ont refusé d’obéir aux brutes galonnées. En février 1915, des soldats indiens se révoltent à Singapour, 202 hommes jugés, 47 condamnations à mort, 23 exécutions publiques. A l’automne 1916, il y eut une rébellion en Asie centrale, le Tsar ordonne l’exécution de milliers de personnes.
23 août 1917, une centaine de soldats US se mutinent à Houston dans le Texas, 118 sont jugés, 110 déclarés coupables, 19 pendus et 22 condamnés à la prison à perpétuité. En septembre 1917, à Etaples en France, les Tommies se révoltent contre les conditions de vie qu’on leur impose, 50 passent en cour martiale.
Les désertions se multiplient partout. On compte 180 000 déserteurs en Allemagne, 250 000 en Autriche-Hongrie, 500 000 dans l’empire Ottoman, 470 000 insoumis en Italie. Et la majorité des divisons françaises sur le front en 1917 connaissent les mutineries. L’Humanité se révolte contre la barbarie de la guerre.
Et, comme la paix, c’est la continuation de la guerre sous d’autres formes, quand les Alliés imposent à des soldats canadiens de partir le 21 décembre 1918 combattre les bolcheviks en Sibérie, les soldats se mutinent et refusent de partir. Toutes ces mutineries, ces désertions, ces révoltes trouveront un écho et une redondance dans les combats contre la colonisation, après 1945. La leçon n’avait pas été perdue.
Amis, Citoyens, Compagnons, Camarades,
La guerre, c’est aussi la militarisation à outrance. Ainsi, les effectifs des policiers et gendarmes militaires vont décupler au cours des années pour mater la troupe. Dans l’armée anglaise, on passe d’un M.P (Military Police) pour 3 300 soldats en 1914, à un M.P pour 292 en 1918. La police militaire et les gendarmes sont partout à surveiller les soldats, au front, dans les cantonnements, dans les gares, dans les villes.
Le général Souvorov, conseillé de Catherine II de Russie ne disait-il pas à propos du maintien de l’ordre : « Si la balle est folle, la baïonnette est sage » ? On militarise alors à outrance la société pour habituer le peuple à côtoyer en permanence les militaires. 600 000 soldats « ouvriers » furent retirés du front pour retourner vers les usines où ils rejoignirent les 400 000 femmes et les 100 000 travailleurs immigrés qui s’y trouvaient déjà, pour produire encore plus pour la grande boucherie.
C’est l’époque de concentration du Capital et la création de grands groupes industriels. On croit mourir pour la Patrie, on meurt pour les industriels, disait Anatole France. En Allemagne, 390 000 prisonniers de guerre iront travailler en usine.
Mais la militarisation des sociétés ne peut empêcher la révolte de se manifester partout. Ce sont les grèves à l’arrière et les mutineries au front. En Russie, 100 000 grévistes en 1916 et 300 000 en 1917, et la lueur de Février 1917 devint la Lumière d’Octobre. Effrayé, le premier Ministre anglais Lloyd George dira : « Toute l’Europe est d’humeur révolutionnaire ».
Amis, Citoyens, Compagnons, Camarades,
La Libre Pensée vous appelle à agir tous ensemble pour la réhabilitation des 639 Fusillés pour l’exemple. Pour cela, parce que nous sommes la République, nous érigerons un monument en leur hommage sur la ligne de Front. Nous vous appelons à y souscrire massivement. Nous avons déjà collecté près du quart de la somme nécessaire.
L’année dernière, nous avions rendue publique une Déclaration internationale pour rendre leur honneur aux Fusillés de tous les pays belligérants. Celle-ci a été contresignée par des associations de tous ces pays. Cette année, à l’initiative aussi de la Libre Pensée, un Appel à la République a été lancé : Nous sommes les descendants des familles des Fusillés pour l’exemple : Nous demandons Justice ! et il est contresigné par des dizaines de familles de Fusillés. Nos camarades qui vont à la rencontre des descendants des Fusillés nous disent à quel point ces familles ont souffert et à quel point notre action pour la réhabilitation est un soulagement pour eux. Nous vous appelons à faire connaître largement cet appel pour qu’il soit signé massivement.
La Libre Pensée organise aussi, avec la participation des associations amies, un colloque à Aix-en-Provence le 19 novembre 2016, « les peuples colonisés mobilisés dans la guerre » et les 26 et 27 novembre 2016 un colloque à Toulouse sur « La guerre contre les nations, la guerre entre les nations ». Vous pourrez vous procurer les Actes de ces colloques comme ceux des 3 colloques précédents auprès des libres penseurs.
En mai 2017, nous serons à Roucy dans l’Aisne pour rendre hommage aux Fusillés pour l’exemple et aux Mutins de 1917. Soyez avec nous pour dire Non à la Guerre ! Maudite soit la Guerre !
Ni dieu ! Ni maître !
A bas la Calotte et vive la Sociale !
Je vous remercie