Michel VERGNIER, maire de Guéret dans la Creuse, avait organisé une réception à la mairie, vendredi 15 novembre, au cours de laquelle Régis Parayre lui a remis le livre : « De Gentioux à Chauny autour de monuments aux morts pacifistes en France» de Danielle et Pierre Roy, édité par la Fédération nationale de la Libre Pensée. Devant le maire, des conseillers municipaux, des libres penseurs creusois et les journalistes de la presse locale, Régis Parayre a expliqué ce geste symbolique :
« Monsieur le Maire de Guéret,
Mesdames, messieurs les conseillers municipaux,
Mesdames messieurs,
Tout d’abord, je tiens à remercier Michel VERGNIER pour cette réception pleine de symboles.
Je suis ici en qualité de président de la Fédération de la Creuse de la Libre Pensée, pour vous parler d’un bel ouvrage publié par notre fédération nationale et, si je fais cette démarche, c’est que l’on y parle de Guéret plus exactement de son monument aux morts implanté dans l’enceinte du jardin public de la sénatorerie.
Cet ouvrage publié durant l’été 2019 et intitulé «De Gentioux à Chauny, autour de monuments aux morts pacifistes en France», recense plusieurs centaines de monuments de nature pacifiste ou humaniste.
Les monuments retenus y sont classés dans plusieurs rubriques. Celui de Guéret figure dans celle des « monuments portant des formules sans connotation patriotique ». Il figure à la page 285 avec le commentaire suivant : « la partie centrale (du monument …) est occupée par la statue en bronze de «la creusoise», une paysanne en sabots, dans son costume local, symbolisant toutes les femmes meurtries par cette boucherie sans nom. Son visage attristé, protégé par une capeline, fixe ses mains croisées sur les genoux et tenant une fleur. La mention « A nos morts » vient compléter le message humaniste qui se dégage de la statuaire ».
Bien sur certains discuteront le caractère pacifiste de votre monument sans comprendre que, dans le contexte de l’après guerre, pour tromper la vigilance pointilleuse des autorités, notamment des préfectures, il fallait faire du pacifisme à la façon des impressionnistes, par petites touches, pour ne pas éveiller de soupçon. Il ne faut pas oublier que depuis l’armistice, le pays était submergé par une vague patriotique délétère et que pour être subventionnés, les monuments devaient passer une sorte de censure, chargée de séparer le bon grain patriotique de l’ivraie pacifiste. L’enjeu n’était pas mince, il avait à voir avec le financement des projets, question récurrente pour les élus d’hier et d’aujourd’hui. Cela avait aussi à voir avec la stigmatisation puisque les projets non validés n’étaient pas inaugurés « officiellement » comme une sorte de flétrissure devant l’histoire. C’est ce qui est arrivé au monument de Gentioux, jamais inauguré, triste avatar devenu aujourd’hui une légitime fierté pour les descendants des instigateurs de cette belle histoire.
L’ouvrage que je vais vous remettre s’ouvre sur le monument de Gentioux que je viens d’évoquer, là où cette aventure militante a commencé en 1988, il y a donc trente et un ans, à l’initiative de la Fédération de la Creuse de la Libre Pensée. On y évoque le rôle décisif de Jules COUTAUD, le maire SFIO de la commune dans le choix de la formule gravée sur le monument.
Cette formule des plus lapidaire dénonce la guerre en la déclarant «maudite ». Gentioux, où depuis 31 ans nous nous rassemblons, tous les 11 novembre pour dénoncer la guerre, la militarisation du monde et la mortifère industrie de l’armement. Pour une part cette activité passe par le «Comité laïque des amis du monument aux morts de Gentioux» (CLAMMG), cheville ouvrière de ces rassemblements. Vous l’aurez noté, ce comité se réclame de la laïcité qui est une valeur à laquelle nous sommes, comme vous, fortement attachés.
Après 380 pages de pérégrinations à travers tout l’hexagone, l’ouvrage se termine par Chauny, ville du département de l’Aisne dans « les hauts de France».
Pourquoi Chauny ? Et bien d’abord parce que nous avons trouvé là un maire, monsieur Marcel LALONDE qui a accepté d’accueillir le monument, mais aussi, du fait que Chauny est proche de la ligne de front, notamment du secteur dit du « chemin des dames (théâtre de la sinistre offensive Nivelle du printemps 1917). Ce monument a été érigé à la mémoire des fusillés pour l’exemple de la guerre de 1914-1918, notamment des 630 suppliciés jamais réhabilités. Nous y avons aussi réservé une place pour Jaurès, inlassable militant de la paix et qui fut à nos yeux le premier exécuté pour l’exemple. Nous avons inauguré ce monument le 6 avril 2019 (une délégation creusoise avait fait le déplacement), en présence d’un millier de personnes dont de très nombreux élus. Cette inauguration n’est pas la fin de l’histoire, nous allons poursuivre notre campagne commencée il y a vingt ans, quel que soit le temps que cela prendra, pour obtenir la réhabilitation collective de tous les fusillés. Il faut savoir que Chirac, Jospin, Sarkozy, Hollande et Macron se sont tous dérobés, le pire étant le chef du nouveau monde qui a déclaré que ces hommes avaient « failli à leurs devoirs ».
Je vous rappelle que la Creuse a eu 5 fusillés. Le plus connu est Félix Baudy, maçon syndicaliste né à Royère, fusillé à Flirey en avril 1915 auquel nous rendons hommage tous les 11 novembre en déposant une gerbe sur sa tombe au cimetière de Royère (tombe sur laquelle figure un message particulièrement émouvant laissé là par ses camarades du syndicat des maçons de la vieille CGT).
Pour ce qui concerne notre département, outre celui de Guéret et de Gentioux, ce sont deux autres monuments qui figurent dans cet ouvrage.
D’abord, il y a celui de La Courtine, érigé durant l’été 2012, à l’initiative de la Fédération de la Creuse de la Libre Pensée, pour rendre hommage aux 10.300 soldats russes mutinés sur le front, contre la poursuite des combats, internés dans le camp militaire de cette même commune pour y être sauvagement réprimés en septembre 1917. Sur un bas relief de bronze (pièce centrale du monument), supporté par deux colonnes de granit, figure en russe cyrillique leur mot d’ordre «A bas la guerre ! » comme une sorte d’écho au cri de révolte de l’orphelin de bronze de Gentioux, là haut sur le plateau. Ce monument, a été inauguré en septembre 2012, en présence de notre regretté Marc BLONDEL, alors président de notre Fédération nationale de la Libre Pensée.
Le dernier monument retenu est celui du Donzeil qui, à l’occasion de travaux de reconstruction en 2018 à changé de nature. En effet l’épitaphe initialement gravée sur la stèle proclamait « à nos morts de la grande guerre ». Aujourd’hui la formule retenue à l’unanimité du conseil municipal est « à nos enfants victimes de la guerre ».
Le monument en faisant référence à ses enfants se referme comme une sorte de cocon douillet et protecteur sur ceux qui ont tant souffert. Le monument nous dit aussi que la guerre ne fait que des victimes loin de ceux qui mobilisent la gloire et l’héroïsme et l’on ne parle plus de « grande » guerre, formule qui apparaît comme une sorte de valorisation de ce conflit. Il n’y a pas de « grandes » et de « petites »guerre, il n’y a que des guerres qui toutes sont une négation de l’humanité et un sombre retour à la barbarie.
Pour conclure je dirai que cet ouvrage représente une somme de travail considérable sur plusieurs années de la part de Pierre et Danielle ROY qui en sont les auteurs. Si les libres penseurs s’intéressent aux monuments aux morts de nos villes et de nos villages ce n’est pas qu’ils cultivent un goût particulier pour la proximité avec la mort comme le revendiquaient les sinistres phalangistes franquistes pendant la guerre civile espagnole, lançant leur glaçant « viva la muerte ». Non, cela ne nous ressemble pas nous qui sommes aussi connus pour notre penchant pour les banquets surtout lorsqu’ils sont gras et bien arrosés. L’intérêt que nous y trouvons c’est que ces monuments nous parlent de notre histoire, de ses pages les plus sombres, mais ils nous parlent aussi de résistance, de courage, d’intelligence et d’espérance. Notre volonté c’est que les messages qu’ils véhiculent soient connus du plus grand nombre, notamment de la jeunesse de notre pays que l’on veut aujourd’hui embrigader et faire marcher au pas dans le cadre du SNU (Service national universel).
Je vous remets donc cet exemplaire, je sais que vous en ferez bon usage et qu’il ne restera pas au fond d’un tiroir ou sur une étagère poussiéreuse. C’est un livre militant, il doit circuler pour que circulent les idées.
Je vous remercie pour votre bienveillante attention. »