Citoyens, Citoyennes, Camarades et amis,
Aujourd’hui, 15 septembre 2012, pratiquement à la veille du centenaire de la première guerre mondiale, nous allons ensemble et publiquement procéder à la rédaction d’une page d’histoire. Je veux, avant d’aborder une brève narration des événements, remercier et féliciter la Fédération départementale de la Libre Pensée qui, avec obstination, s’est battue pour qu’il en soit ainsi. Ce combat, pacifiste par excellence, s’inscrit dans la recherche de la vérité chère aux libres penseurs.
Il ne s’agit pas d’interpréter les choses, cela reste au choix de chacun d’entre nous, mais de faire connaitre les événements dans leur brutalité afin de construire et de participer au comportement d’hommes et de femmes libres pour que ces choses ne se renouvellent plus.
La recherche et l’analyse historiques nous permettent de constater comment des atrocités voire de la barbarie peuvent être rapidement oubliées par la population et surtout comment des historiens, influencés par les politiciens, peuvent créer des légendes quasi héroïques. L’histoire regorge d’exemples et enrichissent ainsi une épopée lyrique bien utile pour conditionner l’opinion publique. Mais il ne peut y avoir persistance de l’oubli, même collectif, on ne peut éternellement effacer les faits.
Dans le cas précis, permettez-moi de vous rappeler quelques données parfaitement établies et incontestées.
La grande guerre a mis aux prises des puissances -dénommées : puissances centrales par les uns et l’entente par les autres- bien décidées, et ceci en dépit des manœuvres de paix, à lutter jusqu’aux dernières limites, non seulement par la mobilisation des hommes, mais aussi par la mise en œuvre de toutes les forces morales, économiques et financières et ce loin de l’inconscience puérile du Président de l’Assemblée Nationale de l’époque, Paul Deschanel qui qualifiait ce conflit « de guerre à la française ».
Indiquons que la guerre des Balkans qui l’avait précédé avait précipité la course aux armements entre des grandes puissances et ce malgré le comportement pacifiste de la majorité des populations. Chacun a peu ou proue entendu parler des paroles de Jean Jaurès qui, quelques heures avant son assassinat, déclarait : « la politique coloniale de la France, la politique sournoise de la Russie et la volonté brutale de l’Autriche, ont contribué à réer l’état de chose horrible où nous sommes. L’Europe se débat comme dans un cauchemar ».
« Citoyens si la tempête éclatait, tous, nous socialistes, nous aurons le souci de nous sauver le plus tôt possible du crime que les dirigeants auront commis et en attendant s’il nous reste quelque chose, s’il nous reste quelques heures, nous redoublerons d’efforts pour prévenir la catastrophe ».
Le 31 juillet, Jean Jaurès est assassiné, le 1er août c’est a mobilisation générale, le 3 août, le début de la guerre, le 4 août les députés SFIO votent les crédits de guerre et entrent dans le gouvernement d’Union Sacrée.
Union Sacrée qui allait affaiblir les pacifistes et provoquer de nombreux revirements idéologiques ; certains faignant de croire qu’il s’agissait d’un conflit éphémère. Il durera quatre années accumulera les ruines, exigera la mobilisation de 70 millions d’hommes dans le monde, fera 8 millions de morts et 20 millions blessés. Pour la France, il y eut 1.383.000 tués.
Pas une famille n’échappera au deuil d’un proche.
Et malgré les réactions de certains citoyens mobilisés qui avaient participé à l’élan patriotique voire à l’union sacrée, et certains libres penseurs qui, par pacifisme, étaient hostiles à ce conflit, malgré l’antimilitarisme du mouvement ouvrier, l’histoire –enfin l’histoire officielle- fit des sacrifiés des patriotes fiers de défendre les couleurs du drapeau français, et de leurs officiers des héros.
La vérité, celle que Jean Jaurès appelle le courage, nous conduit à constater et à dire que les comportements furent –et c’est fort heureux pour l’humanité- bien différents et ce quelles qu’en soient les raisons : les doutes, la peur, le refus de tuer ou de se faire tuer voire la fraternisation avec l’ennemi de nombreux poilus voire certains officiers ont refusé le combat.
Il suffit de se rendre à Craonne au lieu des combats pour comprendre qu’il s’agissait d’un véritable’ abattage, de visiter une tranchée pour comprendre, non pas l’inquiétude, mais la peur des soldats confinés dans la boue, le froid, la maladie, la putréfaction voire la famine et ceci quel que soit le camp, français ou allemand.
Pour juguler la peur, les officiers ont jugé, de manière expéditive, les récalcitrants. Tous les prétextes furent utilisés. Si l’on en croit les statistiques, 2 500 soldats furent condamnés et plus de 650 furent fusillés pour l’exemple, c’est-à-dire par leurs propres camarades, ils furent ainsi non pas morts pour la France, mais par la France.
C’est la raison pour laquelle, tous les 11 novembre, de façon permanente, avec l’ARAC, l’Union Pacifiste, la Ligue des Droits de l’Homme et le Mouvement de la Paix, la Fédération Nationale de la Libre Pensée et ses Fédérations départementales, nous manifestons notre solidarité et exigeons la réhabilitation des fusillés pour l’exemple, je dis bien de l’ensemble des fusillés pour l’exemple.
Nous accentuons, chaque année, notre pression, les gouvernements semblant parfois nous entendre et … ne font rien. Il est vrai que notre action sous-entend une condamnation permanente de la guerre. Comment ne pas souscrire à la déclaration de Pierre Brizon qui fit adopter une proclamation qui stipule : « Cette guerre, peuple travailleurs, n’est pas votre guerre et cependant c’est vous qui en êtes, en masse, les victimes. A bas la guerre, vive la paix, la paix immédiate et sans sanction ».
Les habitants de la Creuse, plus que les autres, sont sensibles à cette situation eux qui vont régulièrement manifester à Gentioux devant le monument pacifiste. Mais notre démarche serait incomplète si nous n’avions pas abordé un événement tragique de notre histoire qui s’inscrit dans ce maudit confit et qui semble faire l’objet d’une occultation historique.
C’est, en effet, ici à La Courtine, qu’en 1901 fut créé un camp militaire qui servira de base arrière aux armées et comme centre d’instruction et de préparation au front. En 1917, celui-ci compte 8 000 soldats russes qui sont sur le territoire français à la suite d’un accord passé, à la demande de Joffre, par le sénateur Paul Doumer avec le Tsar Nicolas II de Russie dans un échange dont je vous donne les engagements : 45.000 soldas russes, dont 750 officiers, seront échangés contre 450.000 fusils à la Russie.
Cette action, par elle-même, est révélatrice du peu de respect pour l’homme considéré comme une marchandise. Ces soldats russes sont, pour l’essentiel, des ouvriers et des paysans, ils seront des nôtres le 20 avril 1916 et défileront sous l’acclamation des parisiens le 14 juillet de la même année, considérés par la population comme des sauveurs.
En 1917 ils seront ainsi envoyés à la boucherie, à l’Est du chemin des Dames, entre Craonne et Reims, sous le commandement du célèbre général Nivelle. Ayant appris, de manière indirecte, la chute du Tsar et la formation d’un gouvernement provisoire, ils constituent des comités de soldats et décident de voter ou non leur engagement dans la suite des offensives. Incapables de rassembler les résultats de cette consultation, ils participent, le 16 avril, avec l’ensemble des troupes françaises, soient 850.000 hommes à une attaque dont l’objectif avoué était de prendre les positions allemandes d’un seul élan. L’échec fut sanglant et pratiquement sans gain, les russes ayant payé un lourd tribut.
Des décorations françaises et russes furent distribuées, mais cependant la propagande s’intensifie dénonçant les soldats considérés, fort justement, comme de la chair à canon. Le mécontentement grandit et se confond avec celui de leurs camarades français. Les deux brigades de soldats russes sont envoyées en Corrèze, l’une à La Courtine, l’autre au Courneau.
Rémi Adam qui a fait un travail de recherches remarquable sur le sujet, précise même que l’Eglise prête main forte à la tentation de mater les rebelles pour qu’ils retournent se faire tuer. Un prête orthodoxe déboule au camp de La Courtine et, brandissant sa croix, prononce l’anathème sur tous les soldats prisonniers et leur excommunication solennelle. Il est, bien entendu, éconduit.
Classique conjugaison du sabre et du goupillon.
Les révolutions éveillent, par définition, la conscience des hommes et s’opposent ainsi à la soumission aux classes dirigeantes. Le 16 septembre, pour réduire l’insoumission, les troupes russes restées fidèles et la troupe française (5.500 hommes dit-on) assistées de l’artillerie française, bombardent le camp, ce qui constitue un véritable assassinat collectif, plus de 100 morts, beaucoup de blessés. Voici très succinctement rappelé ce qui nous conduit, aujourd’hui, à participer à l’inauguration de ce mémorial.
Comment, dans ces conditions, ne pas s’interroger sur le silence volontaire des hommes politiques sur cet événement. Comment, dans ces conditions, ne pas être antimilitariste. Comment dans ces conditions, ne pas frissonner d’horreur et de colère en constatant que pour répondre au canon français, les soldats russes, j’allais dire les camarades russes, jouèrent la Marseillaise et la marche funèbre de Chopin. Comment alors ne pas être exaspéré de voir les gouvernements refuser la réhabilitation de fusillés pour l’exemple, décision de valeur symbolique qui réintégrerait l’ensemble des morts de ce conflit dans l’histoire avec un grand H.
Il ne s’agit pas de repentance, il ne s’agit pas de mépriser le souvenir de ceux qui sont morts au combat, il s’agit de condamner la guerre, toutes les guerres. Pour l’histoire toujours, j’indique qu’une partie des soldats rebelles furent déportés, c’est le mot exact, en Algérie dans des camps où ils furent plus qu’exploités physiquement et moralement par les colons.
Alors, Mesdames et Messieurs, citoyens, citoyennes, monte en moi le 5ème couplet, interdit lui aussi, de l’Internationale : « Les rois nous saoulaient de fumée, paix entre nous, guerre aux tyrans, appliquons la guerre aux armées, crosse en l’air et rompons les rangs. S’ils s’obstinent ses cannibales à faire de nous des héros, ils sauront bientôt que nos balles sont pour nos propres généraux ».
Marc Blondel, Président de la Libre Pensée