Amis, Citoyens, Compagnons, Camarades,
Je vous apporte ici le salut fraternel de la Fédération nationale de la Libre Pensée et de la Fédération nationale laïque des associations des amis des Monuments pacifistes. Nous célébrons en cette année 2007, le 90ème anniversaire de la fin de tuerie de Verdun et celui du chemin des Dames qui vit des régiments entiers se mutiner et être décimés par des assassins en bandes jarretières.
Verdun, cette boucherie sans nom vit 380 000 soldats français tués ou mutilés et les allemands plus de 330 000. Et on ose encore appeler cela une « victoire ». Il est vrai que cet assassinat collectif fut conduit par Philippe Pétain qui devint maréchal de France avant d’être Gauleiter nazi pour la France.
Aujourd’hui, et chaque jour davantage, l’histoire de la Première Guerre mondiale change pour se rapprocher de quelques vérités essentielles. Les soldats ne sont pas partis en août 1914 la fleur au fusil. Dès septembre 1914, devant l’incurie, l’incompétence et la couardise de l’État-major ; les premiers régiments se mutinaient. La première grande vague des Fusillés pour l’exemple fit couler son flot de sang.
Nous sommes réunis ici pour célébrer la mémoire de tous ceux qui ont été victimes de la guerre et de sa violence barbare. Des millions de morts, des millions de blessés et de mutilés, des villes rasées et détruites, tel est le véritable bilan de la boucherie de 1914-1918.
Et pourquoi ? Pour pouvoir recommencer 20 ans plus tard en 1939. La violence engendre toujours la violence. Le meurtre de masse n’a jamais réglé les problèmes que se posaient les peuples et les Nations. La guerre est une impasse sanglante.
Au mois de juin à Béziers, pour le centième anniversaire de la révolte du 17e Régiment d’infanterie, les libres penseurs, les syndicalistes et les vignerons se sont rassemblés par centaines pour célébrer les Mutins pour l’exemple, les Mutins de la République, ceux qui ont refusé de tirer sur le peuple travailleur et le peuple paysan. Il y a 100 ans, celui que l’on appelait le Sinistre de l’Intérieur, Georges Clemenceau, ordonnait de tirer sur le peuple. Décidément, les Ministres de la police, hier comme aujourd’hui, se suivent et se ressemblent. Quand la justice sociale tonne et gronde, ils n’ont comme seule réponse que la répression aveugle et tonitruante.
1907, le peuple se lève pour réclamer la justice sociale. Deux ans après le vote de la grande loi de séparation des Églises et de l’État du 9 décembre 1905, le peuple a fait sienne la formule de Ferdinand Buisson, Président de la Libre Pensée et de la Commission parlementaire chargée d’élaborer la grande loi laïque : « La séparation n’est pas le dernier mot de la Révolution sociale, mais elle en est indéniablement le premier ».
Après la conquête de la démocratie politique et, en premier lieu comme exigence fondamentale, celle de la liberté absolue de conscience, la conscience humaine revendique la démocratie sociale. Les droits, tous les droits pour l’émancipation intégrale ! C’est le sens de la révolte des vignerons, c’est le sens de la mutinerie de leurs frères du 17ème Régiment, les fameux pioux-pioux.
Cette tradition de révolte et de justice sociale, elle vient du tréfonds du peuple. Ce sont les jacqueries pour défendre les droits des serfs au Moyen-Âge, c’est la Révolution française et son fameux cri de guerre : « Paix aux chaumières, guerre aux châteaux », c’est la révolte des bras nus, des quarante-huitards, des Communards de 1871. C’est toute cette tradition humaine de liberté qui s’exprime à Béziers en 1907.
La démocrate politique ne vaut qu’à l’aune de la démocratie sociale. Ce sont les deux piliers de la République. Les deux sont indispensables pour réaliser la pleine émancipation humaine. Aujourd’hui, quand l’une est attaquée, l’autre aussi est menacée. C’est pourquoi, nous les défendons dans un même combat.
En refusant de faire couler le sang, les soldats républicains et paysans du 17ème Régiment vont ouvrir un chemin, paver une voie, celle de la fraternisation. Ils devront en subir les conséquences, la prison, la répression, la déportation en Tunisie. Ils seront nombreux ceux qui subiront le même sort pour avoir eux aussi décidé de tendre la main, de rompre les rangs et de mettre les crosses en l’air.
Quand la Grande boucherie de 1914 éclatera, quand des millions d’hommes, ouvriers et paysans, devront revêtir l’uniforme pour aller tuer leurs frères d’outre-Rhin, la mémoire du 17ème Régiment et des événements de Béziers refera surface dans la mémoire collective. Dès Noël 1914, les premières fraternisations auront lieu dans les tranchées entre soldats français, anglais et allemands. La répression sera féroce dans tous les camps. Une peur panique s’était emparée des États-majors de toutes les armées en présence. Dès septembre 1914, les premières mutineries éclataient. Les premiers soldats tombaient alors sous les balles de ceux qui portaient le même uniforme qu’eux. « Fusillés pour l’exemple » déclaraient les brutes galonnées et planquées à l’arrière.
« Réprimés pour l’exemple », tel avait été déjà le sort des soldats du 17ème Régiment. Les gradés continuaient la tradition sanglante de 1907, ils l’étendaient à toute l’armée, à tous les fronts. Des centaines de soldats, eux aussi « Mutins de la République », vont alors être passés par les armes pour avoir refusé de verser le sang, pour avoir voulu ne plus participer à la boucherie.
Quand la lueur de Février 1917 devint la lumière d’Octobre, la répression se fit encore plus impitoyable. A tous ceux qui réclamaient la paix, le pain et la liberté ; les États-majors répondaient par le feu, le fer et le sang. Quand la révolte sociale se transforma en révolution, les gradés distribuaient le sang, la sueur et les larmes. Mais le refus de la guerre se répandait dans toutes les armées. C’est pourquoi, il fallait fusiller, fusiller encore, fusiller toujours. Et toujours « pour l’exemple ».
C’est au nom de tous ceux qui sont tombés que la Fédération nationale de la Libre Pensée, reprenant le long combat des partisans de la paix et de l’internationalisme, mène un combat de justice pour la réhabilitation des « Fusillés pour l’exemple ». Avec l’Association Républicaine des Anciens Combattants et Victimes de guerre, avec la Ligue des Droits de l’Homme, avec l’Union Pacifiste, nous nous sommes adressés aux gouvernements Villepin et Fillon pour exiger que justice soit rendue aux militants de la paix dans les tranchées.
Les gouvernements sont souvent sourds aux cris du peuple. Nous n’avons toujours pas eu de réponse, alors même que le gouvernement anglais a décidé la réhabilitation des 306 Fusillés pour l’exemple de ce pays. Mais nous allons inlassablement continuer notre action de justice.
En mai 2008, sur le plateau de Craonne, pour célébrer l’anniversaire des premières fraternisations, nous allons faire une grande manifestation. Nous allons regrouper une force, dans l’union la plus large avec tous ceux qui voudront agir avec la Libre Pensée, pour exiger, encore et toujours : Justice pour les Fusillés, Réhabilitation des Fusillés pour l’exemple !
Nous nous félicitons que de nombreux élus républicains s’associent à la Libre Pensée dans ce combat. André Gérin, député-maire de Vénissieux, vient de s’adresser officiellement au ministre de la Défense pour exiger la réhabilitation des Fusillés pour l’exemple. Nous demandons à tous les élus qui partagent notre revendication de justice d’en faire de même.
La réhabilitation des Fusillés pour l’exemple est un devoir d’honneur, mais n’engagera que la reconnaissance du pays officiel, et ce, sans bourse déliée. Alors pourquoi, ce gouvernement ne le fait-il pas ? Sans doute, parce que réhabiliter les Fusillés, c’est admettre comme des principes démocratiques fondamentaux le droit à la désobéissance, le devoir de conscience et le désir de survivre. Et cela, ceux qui veulent maintenir l’exploitation et l’oppression ne le veulent pas.
Ils veulent un peuple à genoux, acceptant tous les diktats, ceux de la Banque mondiale, du FMI , de l’Union européenne et de tous ces traités bénis par les Églises. De ce monde-là, nous n’en voulons pas. C’est ce que nous dirons à Craonne ensemble.
C’est ce que nous dirons aussi à Paris lors de la visite du pape pour exiger :
– aucun financement public de la visite papiste !
– pour la laïcité en Europe !
Et on n’a pas fini d’entendre le cri des combattants de la liberté :
Ni dieu, ni maître ! À bas la Calotte et vive la Sociale !
Je vous remercie.
Christian Eyschen