histoire de Félix BAUDY
Tous les 11 novembre, depuis des années, des dizaines de pacifistes, de libres penseurs, d’antimilitaristes se rassemblent au cimetière de ROYERE de VASSIVIERE pour déposer une gerbe sur la tombe de Félix BAUDY , dont l’épitaphe nous dit qu’il fut fusillé sur le front en avril 1915. Nous sommes ici dans le sud du département de la Creuse sur le plateau de Millevaches.
C’est l’histoire de cet homme, anonyme parmi les anonymes, mort sous les balles françaises qu’il s’agit ici de raconter.
Il nous faut d’emblée tordre le cou à la sinistre farce qui pendant des décennies a tenté de nous faire croire qu’en 1914, le peuple était enthousiaste à l’idée d’aller en découdre avec l’armée allemande. La chimère, répandue par la propagande officielle, de ces millions d’hommes mobilisés qui quittent leurs foyers « la fleur au fusil » à fait long feu.
Les peuples savent parce que c’est inscrit dans leur chair et dans leur sang que c’est toujours eux qui font les frais des déflagrations militaires et encore plus aujourd’hui où les stratèges n’hésitent pas à faire bombarder massivement les concentrations urbaines et leurs populations civiles.
Il importe de dénoncer cette supercherie car la résistance à la guerre s’est exprimée sur le front dès les premiers mois du conflit et cela pour une raison bien simple ; c’est que cette guerre s’est immédiatement révélée être une gigantesque boucherie. Il s’agissait bien de la première guerre de l’ère industrielle moderne, avec toute sa puissance dévastatrice : une artillerie surdimensionnée et alimentée en munitions par des usines tournant à plein régime, l’apparition des engins blindés et de l’aviation. . Il ne faut pas perdre de vue que les cinq mois de conflits de 1914 ont été les plus meurtriers de toute la guerre, 27000 morts pour la seule journée du 22 août !
L’idée de guerre-éclair qui avait était utilisée par la propagande pour abuser les hommes et les femmes du pays a rapidement fait long feu et les contingents engagés ont vite compris quel sort leur était réservé.
La vie de Félix BAUDY s’est arrêtée le 20 avril 1915 à FLIREY dans le département de Meurthe-et-Moselle, fusillé pour l’exemple avec trois autres de ses camarades du 63ième RI, Félix BAUDY étant rattaché à la 5ième compagnie. Il avait trente quatre ans.
Félix Baudy était né le 18 septembre 1881 à Royère de Vassivière dans le département de la Creuse où son père et sa mère exerçaient les fonctions de facteurs.
Félix BAUDY était maçon et cela est une indication d’importance, car, à ce titre, il a été l’héritier d’une tradition républicaine et socialiste liée aux migrations saisonnières de tous ces hommes en direction de PARIS, LYON ou BORDEAUX….
Il faut savoir que les maçons migrants avaient en leur temps un statut un peu équivalent à celui des travailleurs immigrés d’aujourd’hui ; ils étaient sur-exploités et cantonnés aux tâches les plus pénibles. Ils étaient soumis à un contrôle policier permanent, les possédants craignant qu’ils ne soient infiltrés par des agitateurs politiques ou syndicaux. Ils ont connu l’obligation du « livret d’ouvrier » sorte de laisser-passer pour l’embauche mais aussi moyen pour les patrons de détecter et isoler les « meneurs » en leur interdisant l’accès au travail.
La place de grève remplaçait alors « Pôle emploi » et les ouvriers sans travail s’y regroupaient dès l’aube à la recherche d’un patron pour la journée. Ces pratiques traduisant une extrême précarité du contrat de travail ne seraient certainement pas pour déplaire à monsieur GATTAZ dans son incessante recherche d’amélioration de la compétitivité des entreprises. En la matière , les conditions de travail des maçons migrants pourraient aussi constituer une source d’inspiration: douze heures de travail par jour, tous les jours de la semaine sauf le dimanche après midi soit plus de trois cents heures par mois, pas de protection sociale, pas de retraite, pas de congé .Il y a là des gisements d’idées, comme ont dit maintenant, pour peu que l’on ne s’encombre pas de sujets tabous.
Ces migrations résultaient de la difficulté qu’il y avait à vivre en Creuse, mais aussi du besoin de main d’œuvre des grandes métropoles. Durant ces décennies de migration, ces hommes se sont trouvés confrontés à l’histoire en marche dans notre pays. Ils ont participé à la révolution de 1848, ils ont participé à la Commune de Paris (où plus de 1300 d’entre eux auraient trouvé la mort, que ce soit dans les affrontements directs ou dans la répression qui a suivi ; on dit même que les cantons de Bourganeuf et d’Aubusson sont ceux qui après Paris auraient eu le plus de morts), ils se sont alphabétisés, ils se sont affiliés à des syndicats et des partis. Ces idées qu’ils ont côtoyé dans les faubourgs des grandes villes du pays, ils les ont ramenées en Creuse dans leurs bagages, ce qui explique probablement pour une part les traditions anti-cléricales et républicaines du département qui sont un peu déroutantes si l’on se réfère uniquement à son enclavement et à son caractère rural.
Félix BAUDY, lui, était maçon à Lyon où il côtoya le syndicalisme puisqu’il fut militant du syndicat des maçons de Lyon, affilié à la confédération générale du travail (CGT).
À ce titre, Félix BAUDY à participé à des grèves notamment sur des questions de salaires et de contrats de travail. Il fut caractérisé de personnage « peu recommandable » par le préfet de la Creuse dans une note de janvier 1925. Ce que veut dire le Préfet c’est que Félix BAUDY était un militant ouvrier actif et qu’il était donc suspect aux yeux des autorités. C’est avec cette « casserole » que Félix BAUDY a été mobilisé le premier août 1914 et qu’il a rejoint son régiment (le 63ième régiment d’infanterie de Limoges) le 12.
Nous ne retrouvons sa trace sur le front qu’à compter de mars 1915, sans savoir vraiment par quelles terribles épreuves il était déjà passé avant d’en arriver à ce qui devait être l’épilogue de sa vie.
Le 19 avril 1915, le 63ième RI reçut l’ordre de passer à l’attaque au bois de Mortmare, au nord de Flirey, petite commune qui se situe dans la région de Metz et Nancy. Dans le jargon militaire, passer à l’attaque cela signifiait pour les hommes sortir des tranchées et marcher en terrain découvert dans la boue, face à la mitraille. La compagnie de Félix BAUDY fut désignée pour attaquer en tête ce qui d’emblée signifiait qu’elle allait subir les plus lourdes pertes. Il faut savoir que les hommes du 63ième RI avaient déjà été mis à contribution ; depuis des jours, ils creusaient des tranchées sous la pluie, ils étaient exténués. Dans un engagement précédent, le 4 avril, ces hommes avaient participé à la prise du village de REGNIE-VILLE dans la Meuse, à l’issue de laquelle on dénombra plus de six cent morts. Pour Félix BAUDY et ses camardes, il y avait là une injustice à être une nouvelle fois désignés pour être en première ligne et leur résistance s’exprima autour d’un mot d’ordre pouvant apparaître dérisoire, à savoir : « ce n’est pas notre tour ». En apparence on est là bien loin d’une dénonciation de la guerre, mais c’est déjà beaucoup dans cet enfer. Les hommes discutent un ordre et c’est déjà trop. Ils interpellèrent le commandant, lui demandant de changer le dispositif : il refusa et promit des médailles militaires à ceux qui se distingueraient ; Informé de cette agitation, un général (DE PROY) vint les visiter pour les ramener à la raison.
Le 19 avril, les sous-officiers supplient les hommes de faire leur devoir, mais ceux ci s’obstinent à répéter que ce n’est pas leur tour. A 10 heures, le capitaine DUBOST déclenchat l’assaut, seulement suivi par une trentaine d’hommes, qui rapidement durent renoncer, obligés par les tirs Allemands de rester plaqués au sol toute la journée. Il semble que seuls trois survivants aient pu réintégrer leur tranchée à la nuit tombée. Il faut savoir qu’outre les obus Allemands, les hommes avaient à subir les obus Français d’une artillerie coloniale mal renseignée, du fait de problèmes de liaisons et qui de fait envoyait ses engins de morts à l’aveugle.
Immédiatement, l’état major renseigné sur l’incident décida de frapper avec la plus extrême sévérité , car il ne fallait pas laisser penser à la troupe qu’il était possible de discuter les ordres. Après des heures de sordides tractations, il fut décidé que six hommes seraient tirés au sort pour être jugé par une court martiale (en réalité, il n’y en eu que cinq, un sous-lieutenant ayant refusé de participer à cette mascarade de justice).
Après une parodie de procès entièrement à charge, sachant que le président Raymond POINCARE avait donné des consignes de fermeté, relayée sur le terrain par le maréchal JOFFRE, quatre sentences de mort furent prononcées (le cinquième ayant été jugé irresponsable). Le 20 avril, la sentence est exécutée devant les hommes du 63iéme RI obligés d’assister à la scène, car, pour l’état major, il faut faire rentrer dans les consciences que c’est là le sort de tous ceux qui refuseront d’obéir.
Après la guerre, les camarades de Félix BAUDY, membres du syndicat des maçons, prendront en charge la bataille pour sa réhabilitation.
Le premier février 1925 une plaque est apposée sur la tombe de Félix BAUDY, à l’initiative du syndicat des maçons, comme point d’orgue d’une journée qui verra manifester plus de 600 personnes à ROYERE en faveur de la réhabilitation. Sur cette plaque, il est écrit :
« Syndicat des maçons et aides de LYON et banlieue ; Les maçons et aides de Lyon et banlieue à leur ami BAUDY fusillé innocent le 20 avril 1915 à Flirey. Maudite soit la guerre, maudits soient ses bourreaux. BAUDY n’est pas un lâche mais un martyr »
Au terme d’années de procédures judiciaires, la réhabilitation de FélixBAUDY sera prononcée le 2 juin 1934 par la cour spéciale de justice militaire (après avoir été rejetée deux fois en 1920 et 1922, c’est dire l’acharnement dont il fallait savoir faire preuve pour obtenir gain de cause sur le terrain judiciaire).
Ce qui est sûr, c’est que pour la population de ROYERE, Félix BAUDY n’ a jamais été considéré comme un traître (la mention manuscrite « fusillé comme traître », écrite à l’ancre rouge figure encore sur un registre aux archives départementales), lui dont le nom a été porté sur le monument aux morts de la commune (dés 1923), dans l’ordre alphabétique normal, onze ans au moins avant le jugement de réhabilitation (mention gravée dans le granit technique qui ne permet pas le « copier-coller » et qui nous dit bien qu’il ne s’agit pas d’un rajout).
Durant la guerre de 1914-1918, ce sont plus de 600 soldats qui ont été fusillés pour l’exemple et seule une cinquantaine d’entre eux a été réhabilitée.
Exigeons la réhabilitation collective de tous les fusillés pour l’exemple.